Voudrait-on voir en Gérard Depardieu le comble du cynisme en le comparant à Harpagon assis sur son tas d’or au poste frontière qu’on n’aurait pas pris toute la mesure des comportements antisociaux de nos « élites» économiques, politiques, médiatiques, culturelles.
Cherie Blair a toujours eu mauvaise presse: depuis le premier matin suivant l’élection de Tony où elle ouvrit grand sa porte, débraillée, ébouriffée, avec l’air des lendemains de fête difficiles, devant des photographes qui n’en demandaient pas tant, jusqu’à l’humiliation qu’elle infligea à Jacques Chirac en 2005, en hurlant« comme un putois », et qui, dit-on, coûta a Paris l’attribution des Jeux Olympiques. Mais ce sont là des anecdotes dont la presse fait des gorges chaudes. On a pu lire cette semaine un article bien plus élogieux dans le Guardian[1] sur l’action caritative de Cherie Blair. Cette femme qu’on voit régulièrement dans les rassemblements des grands de ce monde a levé 4 millions de Livres en donation de la part de Vodafone au profit de sa « Fondation Cherie Blair » (www.cherieblairfoundation.org). Cette fondation a pour but d’aider les femmes d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient à devenir « économiquement indépendantes ». Car « il y a beaucoup de femmes dans les marchés émergents qui sont dans la position dans laquelle j’étais dans les années 1970 » déclare-t-elle dans cet entretien qui la présente par ailleurs comme profondément concernée par le sort de ces femmes « qui du jour au lendemain peuvent se retrouver veuves et sans ressource« . Au fil de l’article on apprend que « Blair, entourée de quatre téléphones mobiles, est désireuse de parler de technologie« , avant d’en arriver à cet édifiant constat sur la misère de la condition féminine dans les pays émergents : « Une femme est 23% moins susceptibles de posséder un téléphone qu’un homme en Afrique et 37% moins en Asie du Sud par exemple« . Ça par exemple! Il faudrait être naïf ou ancien spin-doctor du New Labour pour se retenir de faire un rapprochement entre l’altruisme de Vodafone et les marchés émergents, via la Fondation Cherie Blair. Car des organisations caritatives qui viennent en aide aux femmes il en existent déjà plusieurs[2] qui auraient pu employer ces millions dans des campagnes autrement plus urgentes que l’accès au téléphone portable (par exemple). De plus, apprendra-t-on à Cherie que « l’indépendance économique » dans le monde réel se nomme « urgence humanitaire » et « urgence sociale », et que les deux tendent à se retrouver pèle-mêle au coin de nos rue ces temps-ci? La famille Blair s’emploie à redorer son blason alors que Tony, politicien hors pair mais désormais haï, semble exprimer une certaine nostalgie pour la vie dans un parti travailliste[3] qui peine encore à combler son déficit de leadership
Blair, Woerth : même combat On pourrait s’en tenir au compte rendu de ce non-événement dans le monde de la politique-business dont on croit toujours avoir fait le tour. Hélas il faut poursuivre… De l’esprit entrepreneur de Cherie Blair est sorti un projet qui a eu relativement peu d’écho dans la presse. Il s’agit de la création de centres médicaux privés dans des supermarchés. Dans le contexte actuel de privatisation du National Health Service (NHS) par amputations budgétaires sévères, on admettra que l’idée semble lucrative. D’autant plus que la structure financière de l’entreprise de Cherie Blair repose sur un fonds de private equity mis en place dans l’état américain du Delaware et les îles Caïmans[4]. Si les coupes budgétaires dans le NHS répondent à des pertes de rentrées fiscales, celles-ci font donc résolument partie du business plan de Cherie Blair. La question fondamentale pour le couple Blair est de savoir où s’arrête la carrière personnelle et où commence le conflit d’intérêt, et non pas seulement de savoir pourquoi la femme d’un ancien leader du Parti travailliste met en place un système privé concurrent à l’un des emblèmes historiques du service publique britannique. La question morale se pose aussi, mais surtout au sujet de l’évasion fiscale dont il va maintenant être question.
Secrets et taboos du surrégime d’accaparement Le Delaware est comme la Suisse[5]. Cet état se distingue comme celui qui offre le moins de transparence et le plus de secret à toute société ne possédant pas de compte bancaire aux Etats-Unis. Il est donc très attrayant pour la formation de sociétés écrans [6] . Les îles Caïmans sont un paradis fiscal. Mais elles sont d’abord des territoires britanniques d’outre-mer[7] sous la juridiction du Royaume-Uni mais sans en faire officiellement partie. Ce sont les territoires de l’ancien empire britannique qui n’ont jamais acquis leur indépendance et qui sous couvert d’une législation baroque trouvent sans peine les arguments nécessaires pour s’affranchir du régime du droit fiscal en vigueur en Grande Bretagne. Ce statu territorial particulier issu de la décolonisation convient parfaitement aux structures complexes et opaques des sociétés qui s’y abritent. « Ce n’est pas illégal! » s’empressent de dégainer les édiocrates et autres chiens de gardes. Certes, mais ce n’est pas pour autant la loi qui s’applique en dehors de ces territoires et où vivent 99,99% des sujets de sa Majesté! Notons au passage que les habitants de ces îles ont la nationalité britannique et donc un passeport européen… La question essentielle de la définition précise des relations Etat/Territoire se pose aujourd’hui de façon urgente en ce qui concerne la répartition des compétences fiscales. Un tel particularisme basé sur le secret et l’absence de fiscalité rend inaudible tout discours d’égalité devant la Loi dans une société qui reste fortement soumise à ses vieux clivages de classes. Des lois fiscales prévalent pour 99,99% de personnes physiques et morales britanniques et fondent le système de redistribution, alors qu’une absence de régime fiscal s’applique ipso facto a des « ultra high net worth individuals » pour qui l’argent n’est plus qu’un concept, qui n’ont plus besoin de services publiques mais qui, avec leurs sociétés écrans, coûtent à la société britannique entre 4 et 20 milliards de Livres (selon les études) en perte fiscale annuelle. Loin d’être un cas isolé, l’épouse de l’ancien Premier Ministre britannique représente cette classe de seigneurs, qui est aussi celle de Gérard Depardieu, dont les individus pourraient bien rentrer dans l’Histoire comme autant de figures d’une « gauche » antisociale s’étant dépravée le long de la Troisième Voie, et ayant bien malgré elle attisé les braises rouges d’une révolution qu’elle n’envisagea jamais que dans une transfiguration socio-libérale.
Voudrait-on voir en Gérard Depardieu le comble du cynisme en le comparant à Harpagon assis sur son tas d’or au poste frontière qu’on n’aurait pas pris toute la mesure des comportements antisociaux de nos « élites» économiques, politiques, médiatiques, culturelles.
Mais ce sont là des anecdotes dont la presse fait des gorges chaudes. On a pu lire cette semaine un article bien plus élogieux dans le Guardian[1] sur l’action caritative de Cherie Blair. Cette femme qu’on voit régulièrement dans les rassemblements des grands de ce monde a levé 4 millions de Livres en donation de la part de Vodafone au profit de sa « Fondation Cherie Blair » (www.cherieblairfoundation.org). Cette fondation a pour but d’aider les femmes d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient à devenir « économiquement indépendantes ». Car « il y a beaucoup de femmes dans les marchés émergents qui sont dans la position dans laquelle j’étais dans les années 1970 » déclare-t-elle dans cet entretien qui la présente par ailleurs comme profondément concernée par le sort de ces femmes « qui du jour au lendemain peuvent se retrouver veuves et sans ressource« . Au fil de l’article on apprend que « Blair, entourée de quatre téléphones mobiles, est désireuse de parler de technologie« , avant d’en arriver à cet édifiant constat sur la misère de la condition féminine dans les pays émergents : « Une femme est 23% moins susceptibles de posséder un téléphone qu’un homme en Afrique et 37% moins en Asie du Sud par exemple« .
Ça par exemple! Il faudrait être naïf ou ancien spin-doctor du New Labour pour se retenir de faire un rapprochement entre l’altruisme de Vodafone et les marchés émergents, via la Fondation Cherie Blair. Car des organisations caritatives qui viennent en aide aux femmes il en existent déjà plusieurs[2] qui auraient pu employer ces millions dans des campagnes autrement plus urgentes que l’accès au téléphone portable (par exemple). De plus, apprendra-t-on à Cherie que « l’indépendance économique » dans le monde réel se nomme « urgence humanitaire » et « urgence sociale », et que les deux tendent à se retrouver pèle-mêle au coin de nos rue ces temps-ci?
La famille Blair s’emploie à redorer son blason alors que Tony, politicien hors pair mais désormais haï, semble exprimer une certaine nostalgie pour la vie dans un parti travailliste[3] qui peine encore à combler son déficit de leadership
On pourrait s’en tenir au compte rendu de ce non-événement dans le monde de la politique-business dont on croit toujours avoir fait le tour. Hélas il faut poursuivre…
De l’esprit entrepreneur de Cherie Blair est sorti un projet qui a eu relativement peu d’écho dans la presse. Il s’agit de la création de centres médicaux privés dans des supermarchés. Dans le contexte actuel de privatisation du National Health Service (NHS) par amputations budgétaires sévères, on admettra que l’idée semble lucrative. D’autant plus que la structure financière de l’entreprise de Cherie Blair repose sur un fonds de private equity mis en place dans l’état américain du Delaware et les îles Caïmans[4]. Si les coupes budgétaires dans le NHS répondent à des pertes de rentrées fiscales, celles-ci font donc résolument partie du business plan de Cherie Blair. La question fondamentale pour le couple Blair est de savoir où s’arrête la carrière personnelle et où commence le conflit d’intérêt, et non pas seulement de savoir pourquoi la femme d’un ancien leader du Parti travailliste met en place un système privé concurrent à l’un des emblèmes historiques du service publique britannique. La question morale se pose aussi, mais surtout au sujet de l’évasion fiscale dont il va maintenant être question.
Le Delaware est comme la Suisse[5]. Cet état se distingue comme celui qui offre le moins de transparence et le plus de secret à toute société ne possédant pas de compte bancaire aux Etats-Unis. Il est donc très attrayant pour la formation de sociétés écrans [6] .
Les îles Caïmans sont un paradis fiscal. Mais elles sont d’abord des territoires britanniques d’outre-mer[7] sous la juridiction du Royaume-Uni mais sans en faire officiellement partie. Ce sont les territoires de l’ancien empire britannique qui n’ont jamais acquis leur indépendance et qui sous couvert d’une législation baroque trouvent sans peine les arguments nécessaires pour s’affranchir du régime du droit fiscal en vigueur en Grande Bretagne. Ce statu territorial particulier issu de la décolonisation convient parfaitement aux structures complexes et opaques des sociétés qui s’y abritent. « Ce n’est pas illégal! » s’empressent de dégainer les édiocrates et autres chiens de gardes. Certes, mais ce n’est pas pour autant la loi qui s’applique en dehors de ces territoires et où vivent 99,99% des sujets de sa Majesté! Notons au passage que les habitants de ces îles ont la nationalité britannique et donc un passeport européen…
La question essentielle de la définition précise des relations Etat/Territoire se pose aujourd’hui de façon urgente en ce qui concerne la répartition des compétences fiscales. Un tel particularisme basé sur le secret et l’absence de fiscalité rend inaudible tout discours d’égalité devant la Loi dans une société qui reste fortement soumise à ses vieux clivages de classes.
Des lois fiscales prévalent pour 99,99% de personnes physiques et morales britanniques et fondent le système de redistribution, alors qu’une absence de régime fiscal s’applique ipso facto a des « ultra high net worth individuals » pour qui l’argent n’est plus qu’un concept, qui n’ont plus besoin de services publiques mais qui, avec leurs sociétés écrans, coûtent à la société britannique entre 4 et 20 milliards de Livres (selon les études) en perte fiscale annuelle.
Loin d’être un cas isolé, l’épouse de l’ancien Premier Ministre britannique représente cette classe de seigneurs, qui est aussi celle de Gérard Depardieu, dont les individus pourraient bien rentrer dans l’Histoire comme autant de figures d’une « gauche » antisociale s’étant dépravée le long de la Troisième Voie, et ayant bien malgré elle attisé les braises rouges d’une révolution qu’elle n’envisagea jamais que dans une transfiguration socio-libérale.
[1] http://www.guardian.co.uk/politics/2012/dec/19/cherie-blair-women-girls
[2] On citera : Women’s Aid, Refuge, Rosa UK, Women’s Resource Centre, Womankind
[3] http://www.guardian.co.uk/politics/2012/dec/18/simon-hoggart-sketch-tony-blair
[4] http://www.taxresearch.org.uk/Blog/2012/08/18/what-is-cherie-blair-up-to
[5] http://www.nytimes.com/2012/07/01/business/how-delaware-thrives-as-a-corporate-tax-haven.html
[6] D’après le Financial Crimes Enforcement Network : http://www.fincen.gov
[7] http://en.wikipedia.org/wiki/British_overseas_territories